Le Hangul

samedi, février 01, 2014

Le Hangeul

Langue coréenne et écriture chinoise.
– certains caractères ont été utilisés pour leur sens indépendamment de leur valeur phonique ;
– pour la représentation des flexions, on a utilisé des caractères également pour leur valeur phonique.




L’écriture chinoise s’est diffusée en Corée à partir du IVe siècle en liaison avec la propagation de textes bouddhiques. C’était initialement une écriture du chinois, qui a été bientôt utilisée également pour la transcription du coréen. Mais à la différence du chinois, langue isolante dans laquelle chaque caractère (ou groupe de deux caractères) correspond à une unité lexicale, le coréen est une langue agglutinante, peut-être apparentée au groupe des langues altaïques (turc, mongol, etc.) : la valeur et la fonction syntaxiques des mots sont marquées par des suffixes « agglutinés » au radical. Et l’écriture chinoise ne se prête pas d’emblée à la transcription de ces éléments inexistants en chinois.
Dans les premiers siècles de l’influence chinoise, le problème ne se posait pas : on parlait coréen, et on écrivait chinois. A partir du VIIe ou du VIIIe siècle, pour écrire le coréen avec les caractères chinois, on a élaboré progressivement un système complexe baptisé idu, qui reposait globalement sur les principes suivants :
– certains caractères ont été utilisés uniquement pour la valeur phonique qui leur est associée indépendamment du sens ;
A un mot pouvait donc correspondre une suite de caractères utilisés de façons différentes.

Une nouvelle écriture


Au milieu du XVe siècle, le roi Sejong a fait élaborer un nouveau système d’écriture adapté à la langue coréenne, dans un double but : faciliter l’accès aux textes classiques chinois (notamment confucéens) grâce à leur transcription dans un système d’écriture plus simple que les caractères chinois, et permettre à chacun d’apprendre à lire et à écrire, y compris aux femmes et aux filles, précisait-il. L’objectif était donc clairement la démocratisation de l’accès à la culture de l’écrit et non, comme cela a été le cas plus tard, l’affirmation de la nation coréenne par rapport – ou contre – ses puissants voisins.
Sejong justifiait ainsi la création de ce nouveau système d’écriture :
« Les sons de notre langue sont bien différents de ceux utilisés en Chine, si bien qu’il nous est impossible, à nous Coréens, d’utiliser les caractères chinois pour transcrire notre idiome. C’est ainsi que nombreux sont ceux parmi le peuple qui, incapables de donner une forme écrite à ce qu’ils souhaitent communiquer, sont contraints de renoncer à exprimer leur pensée. Devant ce regrettable état de choses, je me suis engagé récemment à créer un ensemble de vingt-huit lettres, de façon à permettre à tout un chacun l’apprentissage de l’écriture pour un usage quotidien. »
A la différence de bien d’autres écritures, comme celles utilisées pour les langues à alphabet latin, cette nouvelle écriture n’est donc pas le produit d’une longue histoire marquée par les adaptations successives d’un système d’écriture fait pour une autre langue, mais une remarquable création originale, appuyée sur une analyse des spécificités de la langue coréenne. Mais l’organisation des syllabes dans un carré virtuel ainsi que la direction de l’écriture (initialement de haut en bas) manifestent l’influence du modèle chinois.
hg-sons-correctsPromulgués par décret en 1446 après douze ans de recherches, les « Sons corrects pour l’instruction du peuple » (hunmin jeongeum) comprenaient vingt-huit signes, appelés jamos. Comme dans les alphabets occidentaux, les lettres ont chacune un nom, et elles sont disposées dans un ordre conventionnel (consonnes, puis voyelles).
Dans ses explications et commentaires, Chong Inji, doyen de l’Académie royale, indiquait clairement les avantages de la nouvelle écriture :
Bien qu’il ne soit fait usage que de vingt-huit lettres, les combinaisons de formes en sont infinies. C’est pourquoi un homme intelligent en fait l’apprentissage en moins d’une matinée et même un imbécile n’y met pas plus de dix jours.


Première page du texte (telle que présentée sur le site de la National Academy of the Korean Language). Texte (en caractères chinois) dans See-Young Cho 2000.


Un système phonographique


Le premier principe du hangul est celui d’un système phonographique, avec une correspondance entre graphèmes et phonèmes. La réalité est un peu plus complexe, du fait des évolutions de la langue, de sa diversité dialectale et de l’évolution des graphies depuis le XVe siècle. Le système originel comptait 28 signes de base, dont 24 seulement sont actuellement en usage : dix pour les voyelles et quatorze pour les consonnes. A partir de ces signes simples sont créés des signes complexes par combinaison de signes simples – correspondant à 8 phonèmes vocaliques et 19 phonèmes consonantiques (Lee 1994). Le détail des correspondances et des allophones n’est pas abordé ici.

VOYELLES

hg-vLe hangul compte dix signes de voyelles simples correspondant à i, a, eo, eu u, o et à quatre de ces voyelles (a, eo, u et o) précédées de la semi-voyelle [j] – dans le cadre rouge ci-dessous. Les signes des autres voyelles s’obtiennent par combinaison des signes de voyelles simples. Ainsi, le signe pour wa est la combinaison des signes de o et de a, celui de weo la combinaison de u et eo, etc. On obtient ainsi 21 voyelles.

CONSONNES

hg-kLe graphisme des consonnes est également construit de façon systématique.
A chaque point d’articulation correspond un graphisme différent : (de bas en haut) consonnes bilabiales (m, b, p), consonnes dentales (s), consonnes alvéolaires (n, d, t, l/r), consonnes palatales (j, ch), consonnes vélaires (g, k), consonnes glottales (ng, h).
Chaque série se caractérise par une forme de base à partir de laquelle sont formées les autres par adjonction de traits.
De même, les consonnes glottalisées (en dehors du cadre rouge des consonnes de base dans le tableau ci-contre) sont représentées par le redoublement du signe de la consonne non nasale.

Des signes au graphisme motivé


Le graphisme des signes simples n’est pas arbitraire et dans ses explications et commentaires, Chong Inji en indique les motivations.
Pour les consonnes de base (les plus à gauche de chaque rangée dans le tableau ci-dessus), le graphisme est conçu comme une représentation stylisée de la position des organes articulatoires lors de la production de ces sons.
table-pronociation1
1. Le graphisme de k (consonne vélaire) représente « la position de la racine de la langue lorsqu’elle obstrue la gorge ».
2. Le graphisme de n (consonne alvéolaire) représente « la position de la langue en contact avec la machoire supérieure ».
3. Le graphisme de s (consonne dentale) représente « la forme des dents ».
4. Le graphisme de m (consonne labiale) représente « la forme de la bouche » – un carré.
5. Le graphisme de ng (consonne d’arrière) représente « la forme de la gorge » – un rond.
Chacune des parties des organes phonatoires ainsi distinguées sont mises en corrélation avec les Cinq Eléments de l’univers, respectivement le bois, le feu, le métal, la terre et l’eau.
Le graphisme des voyelles, plus abstrait, procède de trois signes de base : le rond (le petit trait des graphies vocaliques était représenté originellement par un point), qui symbolise le ciel, le trait horizontal, qui symbolise la terre, et le trait vertical, qui symbolise l’homme debout.

Organisation en syllabes


Si la correspondance graphème-phonème est à la base de ce système d’écriture, les graphèmes eux-mêmes sont groupés en syllabes: la représentation de chaque syllabe s’inscrit – comme pour l’écriture chinoise – dans un carré virtuel. Quand une syllabe n’a pas de consonne initiale, on représente cette absence par un signe spécifique (celui qui sert à la finale d’une syllabe, à marquer ng).
Mais la division en syllabes ne vaut qu’à l’intérieur d’un même morphème. Lee (1994) donne l’exemple de la différence de représentation entre
mog-i
(1)/mogi/ (cou) = /mog/ (cou)+ /i/ (particule-sujet)

mo-gi
(2)/mogi/ (moustique) : dans (1),

le signe représentant g fait partie de la première syllabe et la seconde syllabe commence par le signe représentant l’absence de consonne initiale ; dans (2), le g est la consonne initiale de la deuxième syllabe.
A l’intérieur de chaque carré, les signes sont disposés selon un ordre tenant compte de leur forme : soit les uns à côté des autres, soit au-dessous les uns des autres. Les principes de base sont simples :
– une voyelle à dessin vertical est placée à droite de la consonne qui précède ;
– une voyelle à dessin horizontal est placée en dessous de la consonne qui précède ;
– un consonne finale est placée en dessous de la voyelle.
Exemple : l’écriture du mot hangul (hangeul selon le standard sud-coréen actuel).
120px-hangul
Première syllabe : h + a (vertical, à droite) + n (en dessous)
Deuxième syllabe : g + eu (horizontal, en dessous) + l (en dessous)
Dans le standard Unicode, l’ensemble des jamos est présenté dans le bloc 1100-11FF. Sont distingués les consonnes et groupes consonantiques initiaux, les voyelles centrales et les consonnes ou groupes de consonnes finaux. L’ensemble des syllabes disponibles figure dans le bloc AC00-D7AF et représente 44 pages du manuel Unicode, disponible en téléchargement sur le site d’Unicode.


Réactions et diffusion du hangul


Avant même la publication de la réforme, des académiciens ont présenté au roi Sejong une série d’objections tournant autour de deux points principaux :
Il ne faut pas abandonner l’écriture chinoise : « La Cour de votre royaume, depuis le temps immémorial de ses fondateurs nos ancêtres, a toujours servi l’Empire de Chine en vassale sincère, et honoré sans réserve ses usages et institutions. » ; la création d’une nouvelle écriture est un « manque de respect envers la civilisation chinoise ».
Il ne faut pas encourager la diffusion d’une écriture au rabais : seuls des « barbares » ont « une écriture séparée [= différente de l'écriture chinoise] fondée sur l’usage local de la parole » ; la nouvelle écriture n’est bonne « qu’aux propos paysans d’une culture champêtre ». Dans le domaine judiciaire, la diffusion de la nouvelle écriture dans le peuple risquerait de « susciter, chez ce même public de gens simples, une pléthore de plaintes et de récriminations ». – Là est bien le point essentiel : la démocratisation de l’écriture risquerait de porter atteinte au pouvoir des lettrés.
Réponse de Sa Majesté : « quel est le sens de son invention [de la nouvelle écriture] si ce n’est de faciliter la vie du peuple ? » Et de traiter les opposants de « misérables ergoteurs ».
Mais du fait de telles attitudes de la part des lettrés-fonctionnaires, la nouvelle écriture n’a pas connu immédiatement un très vif succès… Ses différentes dénominations sont assez révélatrices de la façon dont elle était considérée : onmun(écriture vernaculaire), achimkul (écriture d’une matinée – c’est-à-dire qu’on pouvait apprendre en une matinée, comme l’avait dit Chong Inji), amkul (écriture pour femmes) (Prost 2003). Elle a servi cependant… aux femmes et aussi aux missionnaires catholiques, qui y ont vu un outil commode pour leur propagande.
Ce n’est qu’à partir de la fin du XIXe siècle que cette écriture, rebaptisée en 1912 hangul (grande écriture), a été remise à l’honneur et popularisée, en liaison avec la cause de l’indépendance nationale, principalement contre l’impérialisme japonais. Pendant les 35 ans où la Corée a été annexée au Japon (1910-1945), la culture coréenne était sévèrement réprimée et à partir de 1937, l’usage de la langue coréenne était interdit à l’école, dans les lieux publics… et même dans la rue : il fallait parler et écrire japonais (et le japonais s’écrit en partie avec des caractères chinois).
Après la Libération (1945), les deux États créés au Nord et au Sud ont adopté tous les deux le hangul comme écriture officielle.
En Corée du Nord, le hangul a remplacé entièrement les caractères chinois.
En Corée du Sud a été prévue une période transitoire pendant laquelle les deux écritures pourraient coexister. Mais si les caractères chinois (appelés hanja) sont de moins en moins employés, l’apprentissage d’un nombre limité de caractères (1800) a été maintenu dans les écoles, de façon à permettre l’accès aux textes anciens. Selon Prost (2003), les caractères chinois ne représentaient plus que 25 % des caractères employés dans les journaux à la fin des années quatre-vingt du siècle dernier, contre 80 % dans les années cinquante. Ils subsistent surtout pour l’écriture des noms propres, mais aussi pour représenter les nombreux mots d’origine chinoise (une bonne moitié du vocabulaire).
Ainsi, la Corée est actuellement au carrefour de trois écritures, dont chacune a ses avantages et ses inconvénients :
– le hangul, écriture simple et nationale, mais utilisée par les seuls Coréens ;
– les caractères chinois, complexes, mais utilisés dans la vaste et puissante zone économique dont la Corée fait partie (avec la Chine et le Japon) et véhicules d’une longue tradition culturelle, – et il faut distinguer, en plus, les caractères traditionnels (utilisés pour le coréen) et les caractères simplifiés (utilisés en Chine continentale) ;
– l’alphabet latin, écriture étrangère, mais utilisée pour d’autres langues internationales, notamment l’anglais, par exemple pour le commerce et l’informatique.


Romanisation


romanisationIl existe plusieurs normes pour la transcription du coréen en caractères latins – ou plus exactement pour sa translittération (à chaque signe du coréen correspond un signe de l’alphabet latin).
Le système le plus utilisé a été longtemps le système McCune-Reischauer (défini par George M. McCune et Edwin O. Reischauer en 1939). Un système légèrement modifié a été adopté par la Corée du Nord en 1996. Un autre système révisé a été mis au point par la Corée du Sud en 2000, il se caractérise par l’absence de diacritiques.
1 – ISO TR 11941.
2 – Systeme National de la République Populaire et Démocratique de Corée / Corée du Nord (1992).
3 – Systeme National de la République de Coree / Corée du Sud (2000).
4 – Système McCune-Reischauer (1939).
5 – Système de Romanisation Yale.
















Références bibliographiques


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Disponible sur le site de l’auteur (site consulté le 2010-09-20) :
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Prost, Martine, 2003. L’écriture coréenne : entre phonographie et morphosyntaxe. Faits de langues 22 : 163-172.
See-Young Cho, 2000. Prinzipien der Entwicklung der koreanischen Schrift. Document en ligne sur le site de l’université technique de Berlin, consulté le 2008-02-16.
http://ling.kgw.tu-berlin.de/Hunminjongum/topic.html.


D’après le Professeur JACQUES POITOU

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