La Corée et l'adoption (3) Aujourd'hui

samedi, novembre 28, 2015

Les adoptés coréens sont aujourd'hui près de 28 000 en France et quelques 200 000 de part le monde. Cela fait à peu près 200 000 histoires d'adoptions différentes, 200 000 expériences uniques qui ont pourtant comme point de repère la Corée.

Certains d'entre eux, arrivés à l'âge adulte, vont vouloir revenir sur leur terre natale afin de retrouver leurs géniteurs ou simplement découvrir leur pays d'origine.
D'autres vont toute leur vie faire la douloureuse expérience de la quête d'identité, en n'étant ni tout à fait coréen, ni vraiment du pays dans lequel ils ont été adoptés.

Et d'autres encore vont soulever leurs voix pour faire comprendre à la Corée qu'il n'est plus possible de continuer ainsi et tenter de remuer les consciences.

Alors, que veut vraiment dire "être adopté" ?
Qu'est ce que cette notion implique, et plus particulièrement dans le cas de la Corée ?



L'adoption : principes fondamentaux


On pourrait croire que l'adoption d'un petit coréen est différente de l'adoption d'un petit éthiopien ou d'un petit letton. Mais finalement l'adoption est le passage obligé entre une série d'abandons et de création de liens, seule change la perception des vécus.

A l'accouchement se produit le premier abandon de notre vie: la naissance. Dès le début du XIXe siècle et avec l'avancée de la psychanalyse, Otto Rank révèle la profondeur de la blessure d'abandon de la naissance. Cette première blessure fondatrice de notre vie est celle qui nous sépare de notre mère, mais aussi celle qui nous permet de devenir un homme ou une femme en tant qu'être unique.

Mais dans le cas d'une adoption, l'abandon peu ou juste après la naissance représente une
deuxième blessure en pleine face. Même à quelques heures ou années de vie, un enfant n'est jamais véritablement vierge de son passé.

Les deux phases d'abandon (abandon du corps de la mère et abandon physique du bébé aux instances d'adoption) vont former une histoire qui sera le bagage historique de l'enfant, à défaut de souvenirs.

Affiche coréenne de « Une vie toute neuve » (2009) où la réalisatrice, Ounie Lecomte, met en scène son passage à l'orphelinat
Et par dessus ce bagage va devoir se former tout le travail de filiation avec la famille d'adoption. Car autant les parents vont adopter leur enfant, mais l'enfant aussi va adopter sa famille. Une simple transaction financière ne peut offrir le droit de "s'offrir une famille". Pendant que l'enfant devra se refaire à un tout nouvel environnement, les parents devront ajuster l'enfant imaginé dans leurs rêves à l'enfant en chair et en os, qui est maintenant leur fils ou leur fille. Plus que de donner un nom et des valeurs, le travail de filiation est de créer un lien "hors du sang". Bien qu'il y ai toujours le ressentit de l'enfant vis-à-vis de ses origines, sa famille d'adoption rentre aussi en jeu.

C'est ce par quoi Élodie, une Nîmoise de trente ans, est passée et m'explique. Le jeu de l'intégration se joue aussi dans l'entourage et la famille de l'adopté. Les clichés des petits
camarades à l'école peuvent faire aussi mal que ceux véhiculés dans un repas de famille. Souvent on nous dit qu'on n'a pas le droit de ne pas aimer notre famille d'adoption sous prétexte qu'on a eu de la chance d'être adopté, ou d'être un ado rebelle car on nous a tout donné pour bien grandir.

Parler de ce que "ça fait d'être adopté" serait un non-sens. Chaque adoption est différente car elle représente un adopté et une famille différente, qui tissent tous des liens et des histoires différentes. L'histoire d’Élodie est son histoire, mais elle m'avoue que souvent elle se retrouve dans les témoignages d'autres adoptés coréens. Notamment un : celui de Jung. Cet artiste belge a littéralement dessiné son adoption et sa propre quête identitaire dans son roman graphique Couleur de Peau : Miel.

Couleur de Peau : Miel

Adopté à 6 ans par une famille belge, il raconte avec ses crayons les étapes de sa vie d'adopté. Il mentionne son adolescence difficile, ses amis adoptés qui traversent comme lui des moments difficile, ses questionnements sur son identité. Mais il croque aussi la vie de famille, les souvenirs d'école, le plaisir de sortir dehors et découvrir une nouvelle culture qui est la sienne.


Extrait de Couleur de Peau : Miel (2012)

Bien que tous ne soient pas pris d'une frénésie dans la recherche de leurs origines, quelques adoptés d'origine coréenne souhaitent découvrir leur pays de naissance. Juste pour le plaisir ou pour retrouver leurs géniteurs. Mais de plus en plus de voix s'élèvent contre la systématisation de l'adoption qui a commis assez de dégâts.

A l'image de Perdu de vue, l'émission Happy Sunday (해피 선데이) présenté par Kim Jae-dong réunit sous les yeux des caméras coréennes les enfants d'origines coréennes à leurs géniteurs qui les recherche depuis des années. C'est grâce à cette émission que la mère d’Élodie la retrouva : "Je ne m'y attendais pas du tout, et au début ma soeur jumelle ne voulait même pas la rencontrer. Au final on s'est tombées dans les bras en larmes. J'ai découvert que j'avais deux soeurs aînées, que mon père avait disparu et que notre mère n'avait jamais voulu nous abandonner, mais que la pauvreté était telle qu'elle n'avait pas eu le choix."
Si l'émission a un vif succès, elle ne remet pas pour autant en cause le système global de l'adoption. Tout comme les dramas, cette émission est un exécutoire pour une vie que les coréens ne peuvent se permettre, c'est à dire garder des enfants bâtards sans entacher leur intégration dans la société. Dans une société où justement tout se doit d'être organisé et en ordre, le retour des adoptés sur leur terre natale peut alors faire désordre. La nationalité par le sol est une notion encore étrangère aux coréens : un coréen adopté, bien que né sur la péninsule d'un père et d'une mère coréenne, ne sera jamais à leurs yeux un véritable coréen.

Pour ceux qui souhaitent revenir en Corée, le parcours du combattant commence. Afin de s'adapter à la société, ils leur faut devenir 100% coréen : manger coréen, parler coréen (pas si facile quand la langue natale est le français), adopter les mœurs coréennes ... C'est une façon de rattraper le temps perdu et laver l'outrage qu'ils portent avec l'adoption. Mais pourquoi les Coréens sont-ils si frileux avec leurs semblables adoptés ?

Car l'adoption les renvoit directement à leur propre Histoire, à l'époque où le pays n'avait pas assez d'argent pour nourrir toute sa population avançait alors que la Corée du Sud n'en était qu'à sa transition économique.
La décennie des années 80 est certainement la plus parlante car au moment où l'économie grandissait, une large frange de la population a pu s'enrichir et vivre à l'ombre des chaebols (conglomérats coréens comme Samsung ou Hyundai). Les adoptés sont donc des "erreurs" du passé, des souvenirs d'une époque que la Corée du Sud préférait oublier. Et comme toute expérience qu'une société tente de nier, elle rectifie le tir en "coréanisant" ces adoptés sur le retour ou en demandant timidement "교포?" (kyopo, littéralement Coréen vivant à l'étranger). Certains adoptés coréens préfèrent ainsi se présenter comme expatriés plutôt que d'expliquer leur filiation et compliquer leur intégration dans le pays. Afin de faciliter les démarches de recherches ou tout simplement découvrir la Corée, des dizaines d'associations de coréens adoptés existent de par le monde.

La plus active sur le territoire français est Racines Coréennes qui depuis 1995 réunit les adoptés coréens francophones au sein de l'association. Le rôle de ces associations est de réunir des personnes au destin similaire afin d'en connaître un petit peu plus sur leurs origines et les accompagner dans une possible démarche de recherche.
Et le chemin peut être long avant de retrouver ses origines, entre maigreur des dossiers, lourdeurs administratives ou « oubli » des autorités locales. La famille même de l'adopté peut faire figure d'obstacle : les parents peuvent se sentir blessés quand leur enfant fait des recherches et poser des questions comme « tu ne nous aimes pas ? » « qu'avons nous fait de mal? » « tu n'es pas satisfait avec nous? ».

Retrouver ses origines c'est remonter une histoire qui part de rien afin de savoir sur quoi se construire. Or, depuis 2012, les coréens adoptés à l'étranger peuvent obtenir la double nationalité : la nationalité de leur pays d'adoption et sud-coréenne. Bien que la pratique même de l'adoption ne soit pas contesté, une poignée de militants adoptés coréens tente de faire plier la justice coréenne afin de cesser l'hypocrisie du gouvernement sur la question. Le pays a signé en mai 2013 la convention d'adoption de la Hague qui donne le droit aux enfants de vivre au maximum dans sa famille ou dans son pays d'origine. Afin de convenir à cette nouvelle réglementation la Corée du Sud devra revoir toute sa copie concernant l'adoption.

Conclusion

En octobre 1998, le président Kim Dae-jung demanda pardon pour ne pas avoir pu offrir un cadre d'éducation à tout ces orphelins. Le gouvernement actuel a pour objectif d'éliminer l'adoption internationale d'ici 2015.

Pour atteindre cet honorable objectif, le pays aura besoin de réformes profondes qui ne sont toujours pas apparues au programme : se focaliser sur les besoins de l'enfant, sortir du schéma de victime dans laquelle la Corée du Sud se pose depuis la guerre, faire sa révolution sexuelle et ne plus considérer l'adoption comme une solution de liquidation raciale, comme l'écrit l'ONU.

Mais comme toute culture, la culture coréenne évoluera. La société changera à son rythme, la diffusion de la culture Hallyu (kpop, manhwa, cinéma sud-coréen …) à travers le monde renverra forcément une certaine image du pays qui devra alors bien se regarder en face.

Sarah Carretero


Nota bene: les propos tenus ci-avant ne sont que ceux de l'auteur et n'engagent à aucun moment l'ensemble des collaborateurs du blog.

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